ChinAfrique
Perspectives littéraires et artistiques sur la Chinafrique
Journée d’étude de l’APELA 2020
Organisée en collaboration avec l’Observatoire des Écritures françaises et francophones contemporaines (CSLF, Paris-Nanterre)
Lieu : Université Paris-Nanterre
Date : 25 septembre 2020
Si les relations commerciales entre la Chine et l’Afrique remontent au moins aux expéditions de l’amiral Zheng He (1371-1433), c’est véritablement dans les années 2000 que la présence chinoise sur le continent africain s’est développée de manière exponentielle. L’entrée remarquée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001 est ainsi précédée par la tenue à Pékin de la première édition du forum sur la coopération sino-africaine (octobre 2000). Qu’il soit perçu comme une forme d’entraide entre les pays du « Sud » ou au contraire comme un nouvel avatar de l’impérialisme[1], ce phénomène, souvent considéré comme l’indice d’une nouvelle phase de la mondialisation, a suscité une abondante couverture médiatique et une riche littérature spécialisée. Nombreux sont les travaux qui se sont attachés à mettre en lumière les termes d’un échange censé se révéler mutuellement bénéfique, puisque le drainage des matières premières africaines et l’investissement de nouveaux marchés serait consenti en échange de la construction d’infrastructures ou d’aides ciblées. Le néologisme « Chinafrique », construit sur le modèle de la « Françafrique », résume bien les enjeux de ces recherches contemporaines qui conjuguent perspectives économiques et géopolitiques.
Selon ces travaux récents, le recul des puissances européennes et l’estompement de la logique bipolaire qui prévalait durant la Guerre Froide auraient laissé place à l’avènement d’un véritable « Far West chinois[2] ». Recouvrant l’Afrique anglophone autant que francophone, celui-ci contribue au gommage des frontières coloniales tout en renouant avec des dynamiques impérialistes anciennes. L’intervention chinoise en Afrique suppose en effet à la fois l’entretien d’échanges asymétriques et la projection à plus ou moins long terme dans un destin commun, dont la représentation devient un sujet récurrent des romans de science-fiction[3]. Pour Ibrahima Soumah, ancien membre du gouvernement guinéen, la « chinisation » de l’Afrique est ainsi prétexte à l’écriture d’un « roman d’économie-fiction » qui met en scène l’exploitation économique et militaire du continent avant d’envisager l’issue heureuse qu’autorise la formation d’un couple mixte[4]. L’hypothèse littéraire d’un métissage sino-africain n’a à ce titre rien d’un hapax : elle intervient déjà dans Le Lys et le flamboyant d’Henri Lopes ou, sous la forme travestie d’une hantise de la reproduction, dans l’évocation que livre Dai Sijie des frasques chirurgicales de l’empereur Zheng De[5].
Au-delà de ces formes somme toute classiques de « branchement[6] », l’une des caractéristiques remarquables de la relation sino-africaine réside dans sa triangulation : non contente d’impliquer les deux partenaires de l’échange, elle met également en jeu les anciennes puissances coloniales, au premier rang desquelles se situe la France[7]. Elle nourrit à ce titre un discours diplomatique et scientifique, qui n’est exempt ni de jugements de valeur ni d’investissements affectifs face à l’inquiétante perspective d’un impérialisme d’un nouveau genre, volontiers présenté comme dépourvu de « limites mentales[8]». Là où l’Occident humanitaire serait demeuré prisonnier d’histoires « dérivées du Cœur des ténèbres [9]», le soft power chinois ouvrirait ainsi en Afrique une brèche de liberté, dont la matrice littéraire demeure en construction.
Il peut à ce titre paraître surprenant que les études publiées à ce jour n’aient accordé qu’une place congrue aux effets de la relation sino-africaine sur les imaginaires. En concentrant l’attention sur des productions littéraires, plastiques et cinématographiques, la présente journée se fixe comme objectif de pallier cette lacune. Les textes commentés pourront émaner aussi bien du champ de la littérature institutionnellement reconnue que de ce que Bernard Mouralis appelait dès 1975 les « contre-littératures[10] ».
Dans le souci de mettre en évidence des « regards croisés » sur la Chinafrique, seront en priorité retenues des propositions relatives à la vision de l’Afrique en Chine[11] et à la vision de la Chine et des Chinois en Afrique. La prise en compte de la triangulation de la relation sino-africaine, perçue depuis l’Europe ou l’Amérique, pourra également justifier le détour par des textes et des œuvres d’auteurs ou d’artistes européens et américains.
Trois axes de réflexion majeurs peuvent être dégagés :
- Néocolonialisme et « littératures de l’extraction ». Comment la Chinafrique participe-t-elle d’une littérature mondiale, voire mondialisée ? Les textes récents consacrés à la relation sino-africaine, à l’exemple de Congo Inc. d’In Koli Jean Bofane, font volontiers de la présence chinoise l’indice narratif et formel d’une circulation accrue des matériaux, des informations et des hommes. L’espace mondialisé de la Chinafrique peut cependant aussi se concentrer et se réduire au gouffre mortifère de la mine, photographiée, entre autres, par Sammy Baloji. Tidiane N’Diaye dans le domaine de l’essai, Fabrice Loi et Mukaka Chipanta dans le champ de la fiction, Hubert Sauper au cinéma, dénoncent ainsi une colonisation nouvelle. Celle-ci semble d’autant plus insoutenable qu’elle serait insidieuse et prédatrice pour l’environnement soumis à un extractivisme sans limite. Quel commentaire critique la littérature et les arts sont-ils en mesure d’offrir sur le nouvel ordre économique et écologique du monde ?
- Imaginaires culturels : stéréotypes et empowerment. Dans quelle mesure la relation sino-africaine permet-elle l’émergence de nouvelles figures littéraires et artistiques ? En quoi la Chinafrique nourrit-elle le dépassement ou au contraire le renforcement des stéréotypes[12]? La relation sino-africaine pose indubitablement à nouveaux frais la question de la représentation de l’Autre : tandis qu’une publicité chinoise pour de la lessive reprenait fidèlement il y a peu des antiennes racistes bien connues en Europe[13], l’artiste Hua Jiming se livrait en 2010 à une performance remarquée, destinée à dénoncer les représentations récurrentes des Chinois en Afrique[14]. L’une des figures les plus remarquables dans cet imaginaire est sans doute celle du maître en arts martiaux, exemplairement incarné par Bruce Lee : portée à l’écran par un sosie dans un film du Camerounais Alphonse Beni, cette figure est évoquée entre autres par Dieudonné Niangouna[15] et Alain Mabanckou[16] dans leurs souvenirs d’enfance. Il ne fait aucun doute qu’une telle prédilection pour des héros non occidentaux contribue à la densification des circulations culturelles, voire à l’émergence de nouvelles formes plastiques et littéraires. Quel rôle assigner à ces figures aussi héroïques qu’exotiques ?
- Du tiers-mondisme au futurisme : diachronie de la relation sino-africaine. Avant qu’elle ne se décline sous la forme capitaliste de la « Chinafrique », voire de la dystopie extractiviste, la relation sino-africaine a d’abord été conçue dans le cadre d’une solidarité tiers-mondiste. Si elle est aujourd’hui économique et volontiers tournée vers l’anticipation d’un futur plus ou moins lointain, cette relation a d’abord été diplomatique, inscrite dans le contexte historique de la conférence de Bandung et de l’émergence du Tiers-Monde. Son évocation littéraire revêt à ce titre une dimension mémorialiste et engagée, dont on trouve l’écho dans les textes contemporains. Comment la littérature et les arts contribuent-ils à inscrire la relation sino-africaine dans une temporalité longue, qui court de l’époque maoïste aux domaines plus ou moins lointains de la science-fiction ?
Les propositions de communication (300 mots maximum) accompagnées d’une brève bio-bibliographie sont à adresser avant le 1er mars 2020 aux trois adresses suivantes : ninon.chavoz@gmail.com ; pierr.leroux@gmail.com et fparavy@yahoo.fr
Bibliographie indicative
Fiction
- Aanza (Sinzo), Généalogie d’une banalité, La Roque d’Anthéron, Vents d’Ailleurs, coll. Fragments, 2015.
- Bofane (In Koli Jean), Congo Inc. Le testament de Bismarck, Arles, Actes Sud, 2016.
- Bulawayo (NoViolet), We need new names, London, Vintage Books, 2013.
- Chipanta (Mukaka), A Casualty of Power, Harare, Weaver Press, 2016.
- Gauz, Camarade Papa, Paris, Le Nouvel Attila,
- Grand (Emmanuel), Kisanga, Paris, Liana Levi, 2018.
- Hartmann Ivor, AfroSF : science fiction by African writers, [SL], Story Time, 2012 (t. 1), 2015 (t. 3), 2018 (t. 3).
- Kwahulé (Koffi), Nouvel an chinois, Paris, Zulma,
- Loi (Fabrice), Le Bois des Hommes, Clermont-Ferrand, Éditions Yago, coll. Ciel ouvert, 2011.
- Lopes (Henri), Le Lys et le flamboyant, Paris, Le Seuil, 1997.
- Mankell (Henning), Le Chinois, Paris, Seuil, 2011.
- Niangouna (Dieudonné), Le Kung Fu, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2014.
- Robin-Gazsity (Vincent), Enfermé à Libreville. Sept jours en Chinafrique, Paris, L’Harmattan, Écrire l’Afrique, 2017.
- Sijie (Dai), L’Acrobatie aérienne de Confucius, Paris, Flammarion, 2009.
- Soumah (Ibrahima), L’Afrique un continent en voie de « chinisation ». Roman d’économie-fiction, Paris, L’Harmattan, 2018.
Récits autobiographiques
- Diakité (Mory Mandiana), De la savane africaine en Chine populaire : l’étrange parcours d’un Peuhl du Wassolon, Dakar, L’Harmattan Sénégal, 2018.
- Joris (Lieve), Sur les ailes du dragon : voyages entre l’Afrique et la Chine, Arles, Actes Sud,
- Kitoko (Ghislain Gaston), Les Mémoires d’un Africain en Chine : depuis 1985, Paris, La Pensée Universelle, 1994.
- Lopes (Henri), Il est déjà demain, Paris, Jean-Claude Lattès, 2018.
- Mabanckou (Alain), Lumières de Pointe Noire, Paris, Le Seuil, 2013.
- Sanmao, Diarios del Sàhara, [1976], traduit du chinois (Taiwan) par Irene Tor Carroggio, Barcelona, Rata, 2016.
Essais et articles
- Banham (Martin), Gibbs (James) & Osofisa (Femi), China, India and the Eastern World, Woodbridge, James Currey, 2016.
- Batchelor (Kathryn ) & Zhang (Xiaoling ), eds.,China-Africa Relations. Building Images through Cultural Cooperation, Media representation, and Communication, Londres, Routledge, 2017.
- Beuret (Michel ) & Michel (Serge), La Chinafrique: Pékin à la conquête du continent noir [2008], nouvelle édition augmentée, Paris, Hachette Littératures, 2009.
- Brautigam (Deborah), The Dragon’s Gift: the Real Story of China in Africa, Oxford, Oxford University Press, 2009.
- Buchalet (Jean-Luc) & Prat (Christopher), Le futur de l’Europe se joue en Afrique, Paris, Eyrolles, 2019.
- Courmont(Barthélémy), Chine, la grande séduction. Essai sur le soft power chinois, Paris, Choiseul, 2009.
- Desai (Gaurav), , « Asian African Literatures: Genealogies in the Making », Research in African Literatures, Vol. 42, n°3, 2011, p. v-xxx.
- Gilbert (Catherine), « Chinese literature in Africa: meaningful or simply ceremonial? », The Conversation, 17 novembre 2016 [en ligne]. URL : http://theconversation.com/chineseliterature-in-africa-meaningful-or-simply-ceremonial-63416
- Malaquais (Dominique) & Khouri (Nicole), , Afrique-Asie : arts, espaces, pratiques, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2016.
- N’Diaye (Tidiane), Le jaune et le noir : enquête historique, Paris, Gallimard, coll. Continents Noirs,
- Richer (Philippe), L’Afrique des Chinois [L’offensive chinoise en Afrique, 2008], préface de Jean-Luc Domenach, nouvelle édition revue et enrichie, Paris, Karthala, coll. Les terrains du siècle, 2012.
- Van Reybrouk (David), Congo: une histoire, Arles, Actes Sud, 2014.
Filmographie
- Beni (Alphonse), Cameroon Connection (1984)
- Bing (Tan), China Salesman (2017)
- Ho (Godfrey), Black Ninja / Ninja Silent Assassin (1987)
- Jing (Wu), Wolf Warrior 2 (2017)
- Michel (Thierry), Katanga Business (2009)
- Sauper (Hubert), Nous venons en amis (2015)
- Védrine (Laurent), Kinshasa Beijing Story (2010)
[1] Voir à ce sujet N’Diaye (Tidiane), Le jaune et le noir : enquête historique, Paris, Gallimard, collection Continents Noirs, 2013.
[2] Voir à ce sujet Michel (Serge) et Beuret (Michel), La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir, [2008], nouvelle édition augmentée, Paris, Hachette Littératures, 2009.
[3] Voir à ce sujet, entre autres, les trois tomes de l’anthologie « AfroSF » édités par Ivor Hartmann.
[4] Soumah (Ibrahima), L’Afrique un continent en voie de « chinisation ». Roman d’économie-fiction, Paris, L’Harmattan, 2018.
[5] Sijie (Dai), L’Acrobatie aérienne de Confucius, Paris, Flammarion, 2009.
[6] Amselle (Jean-Loup), Branchements : anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion, 2001.
[7] Brautigam (Deborah), The Dragon’s Gift. The Real Story of China in Africa, Oxford, Oxford University Press, 2009 ; voir notamment le chapitre : “Beijing versus Paris”, p. 132 sq.
[8] Voir Michel (Serge) et Beuret (Michel), op. cit, p. 60.
[9] Ibid.
[10] Voir Mouralis (Bernard), Les Contre-littératures, [1975], Paris, Hermann, 2011.
[11] Voir notamment Sanmao, Diarios del Sàhara, traduit du chinois (Taiwan) par Irene Tor Carroggio, Barcelona, Rata, 2016 [première édition en chinois : 1976].
[12] Voir Amossy (Ruth) et Herschberg-Pierrot (Anne), Stéréotypes et clichés : langue, discours, société, Paris, Armand Colin, 2016.
[13] Voir à ce sujet Lepidi (Pierre), « En Chine, une pub violente révèle un racisme ordinaire envers les Noirs », Le Monde, 27 mai 2016 : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/05/27/en-chine-une-pub-raciste-qui-passe-les-noirs-a-la-machine_4927740_3212.html
[14] Voir à ce sujet Simbao (Ruth), « Walking into Africa in a Chinese Way : Hua Jiming’s Mindful Entry as Counterbalance », in Malaquais (Dominique) et Khouri (Nicole), dir., Afrique-Asie : arts, espaces, pratiques, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2016, p. 193-211.
[15] Niangouna(Dieudonné), Le Kung Fu, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2014.
[16] Mabanckou (Alain), Lumières de Pointe Noire, Paris, Seuil, 2013, p. 168-169.